Les professeurs de philosophie ne sont pas d’accord sur la pertinence de la dissertation. Mais sont-ils d’ailleurs d’accord sur quelque chose ? Ils ont du mal à s’entendre sur la conciliation de l’épreuve de philosophie au bac avec la philosophie. "L’essence même de la démarche philosophique nous semble directement en cause dans ce que nous appellerons « méthodologie active de la dissertation » écrit Henri Pena-Ruiz (Méthodologie philosophique, Bordas, 1978, p. 6). Très bien ! il suffit de devenir philosophe pour bien faire sa dissertation et avoir une bonne note au bac (ou bien est-ce l’inverse ?). Mais il se peut que ce soit vrai en théorie mais qu’en pratique ça ne vaut rien. Car, lisons la carte de visite de Monsieur Henri. Où enseigne-t-il ? Je veux dire dans quel lieu ? Les murs de la classe, le nombre d’élèves, les élèves même ? Enseigne-t-il vraiment à des élèves ? Sa méthodologie philosophique ne doit servir que pour les élèves de terminale qui vont aller en Khâgne, ces élèves mêmes de Khâgne et ceux qui passent les concours de professeur ! Qu’en est-il des autres, c’est-à-dire de l’immense majorité de ceux qui vont en terminale ? Pourquoi exiger d’eux une dissertation ? Le bac entre-t-il dans «L’essence même de la démarche philosophique» ?
Car "Qu’est-ce qu’une dissertation, mode d’exposition de la pensée [...]? C’est proprement l’art de traiter n’importe quelle question pour n’en rien dire, ou le moins possible : ce qui suppose une neutralisation du contenu des questions ainsi abordées. Une dissertation, par principe, n’a pas d’objet : elle n’expose que des points de vue sur un objet quelconque, des manières de traiter une question qu’elle représente formellement à travers leur confrontation. Il y a ainsi une véritable philosophie de la dissertation qui est la philosophie spontanée des professeurs de philosophie dont le présupposé est la relativisation de tous les problèmes abordés, qu’on refuse de considérer en eux-mêmes comme s’il était possible d’en dire effectivement quelque chose, c’est-à-dire d’avancer dans leur résolution [...].
Toute la question est alors de savoir si l’institution scolaire peut fonctionner autrement que comme le lieu d’une exhibition formelle d’opinions argumentées, réfractées dans la parole d’un maître, et si elle peut aussi donner son cadre à la production d’une pensée effective. Notons que l’école n’est même pas du tout faite pour cela : les professeurs de philosophie ne sont pas recrutés et rémunérés pour faire de la philosophie, et on peut même dire que les conditions très contraignantes imposées à leur travail seraient particulièrement destinées à les en empêcher. Si le professeur de philosophie fait de la philosophie avec ses élèves, c’est donc à ses risques et ses frais, hors-jeu en quelque sorte, dans les marges de réelle liberté que lui ouvrent les failles du système." (Pierre Macherey, Dialogue (revue du GFEN), n°71)
A la fin de l’année on demande aux élèves de terminale d’avoir compris un peu ce qu’est la philosophie et de l’appliquer, peu d’élèves y arrivent et les correcteurs du bac se plaignent de ces copies où il n’y a rien de philosophique. J’avais lu quelque part lors de ma première année d’enseignement qu’on avait l’impression lorsqu’on corrigeait les copies du bac que les élèves n’avaient jamais fait de philosophie, et effectivement il semblerait que ce soit juste. Alors certains profs se lamenterons sur le niveau qui baisse, sur la philosophie qui n’est plus ce qu’elle était, que tout fout le camp, sans se rendre compte que c’est une situation très privilégiée. Pourquoi s’emmerder à bachoter toute l’année ? Au diable le programme, d’ailleurs il n’y en a pas et faisons vraiment de la philosophie ! Seulement ne faut-il pas donner les vraies règles du jeu ?
Pas question de délirer, il s’agit de la terminale et on ne peut pas parler de la dissertation en faisant comme s’il n’y avait pas le bac à la fin de l’année. Quoi qu’en disent les profs, les règles de la dissertation que l’on demande dépendent directement de ce foutu examen. La dissertation est un exercice choisi parmi beaucoup d’autres parce que, entre autres, il répond aux exigences des gens qui veulent sélectionnner les élèves. Et la philosophie là-dedans ? Il y en a un peu mais ce n’est pas l’essentiel ! Avant d’expliquer aux élèves les règles de la dissertation expliquons-leur les règles du bac ou plutôt expliquons leur les règles de la dissertation en fonction des règles du bac et non pas l’inverse.
Faut-il distinguer les différentes séries et leur donner des conseils spécifiques ? Peut-être, les Terminales techniques et S peuvent plus ou moins se passer de la philosophie pour avoir le bac, c’est même ce que disait un proviseur à la télévision lors de la réforme des coéfficients : si on les avait changés c’était pour empêcher certains élèves des classes scientifiques d’avoir le bac avec seulement les matières littéraires ! Par contre, vu leur coefficient, les élèves de term L doivent se démener les méninges un peu plus. Mais même si on en demande un peu plus aux terminales littéraires, le lycée n’a pas comme objectif d’en faire des "philosophes". Cet objectif n’est qu’une illusion de prof de philo de grande école à la retraite. On peut le déplorer mais il semble que ce soit la réalité. Pas question de fantasmer donc, sauf peut-être pour l’élite que l’on trouve dans certains lycées, si l’objectif est d’avoir le bac, les régles de la dissertation de philo sont à peu près les mêmes.
D’abord est-il vrai que pour une même copie on peut obtenir un écart de 8 points entre les différents correcteurs du bac ? Eh bien oui ! C’est ce que, de mes propres yeux, j’ai vu ! Ce n’était pas la première fois, mais lors de la première réunion d’harmonisation de bac 1995 en série S, les notes du premier devoir que nous avons noté à bulletins secrets sont allées de 6 à 14. Il faut préciser d’abord qu’en éliminant les profs "provocateurs" ou peut-être qui avaient leurs humeurs (les grincheux) l’écart se réduisait à 6 points (7 à 13 quand même !) avec beaucoup de notes à 8-10, la moyenne des correcteurs étant de presque 9. C’était un devoir assez typique, un de ceux qu’on pourrait qualifier "de studieux mais pas philosophique". Ainsi on pourrait penser que les variations de notation exitent sur de tels devoirs. Les correcteurs ayant tendance à remonter les notes de ces devoirs sur des critères extra-philosophiques. Car les correcteurs sont dans l’ensemble d’accord sur les critères philosophiques, les écarts diminuent avec les très bons devoirs, mais lorsque le devoir n’est pas philosophique, certains vont en arriver à privilégier la présentation, d’autres la longueur, d’autres le fait qu’il y ait des citations, etc... et ils ne seront alors pas d’accord. Il faut bien préciser que ces critères servent à remonter les notes, ce qui est une très bonne chose. Pour la même raison il peut y avoir gros écarts entre les mauvais devoirs, mais ces écarts s’amenuisent lorsqu’on en arrive aux très mauvais devoirs.
Ces écarts ne sont peut-être pas si grands car c’était une réunion d’harmonisation, qui sert, comme son nom l’indique, à harmoniser. Il y en a même une autre après et il faut espérer que les écarts sont diminués (ce qu’on se garde quand même bien de vérifier !). Etant donné, et c’est une très bonne chose, que la moyenne des copies de chaque correcteur est fixée (à 9 l’année 95), On peut penser que le correcteur qui aura saqué à 6 sera obligé de remonter cette note et que celui qui aura surnoté à 14 sera obligé de la diminuer. Mais ceci a des limites en particulier le fait, et c’est moins grave que l’inverse, que celui qui a mis 6 sera obligé de remonter alors que celui qui a mis 14 ne bougera pas sa note. D’autre part il faut préciser que certains profs de philo notent vraiment n’importe comment, c’est rare mais ça existe. Ainsi à la même réunion d’harmonisation le prof qui avait mis 6 a mis 7 au devoir suivant alors que la moyenne des correcteurs était de 12 et que les notes s’étalaient de 7 à 18 ! Ou alors ils visent des fins, sinon connues que d’eux seuls, du moins plutôt étranges pour un professeur. Comme par exemple ce prof qui a mis 60 zéros sur un jury de C de 120 copies, sous prétexte qu’elles n’étaient pas philosophiques. Les profs des autres disciplines ont été obligés de remonter leurs notes pour éviter de graves injustices et notre prof à eu comme terrible sanction... d’être privé de correction de bac les années suivantes, ce que de toute évidence il recherchait ardamment !
Même en instituant des harmonisations et en faisant abstraction des profs disjonctés on n’arrive pas à plus d’équité à la fin. Mais il ne faut pas oublier deux choses essentielles, le bac sanctionne une année entière et la philo n’est qu’une matière parmi les autres. D’abord en ce qui concerne la durée, il faut considérer qu’il y a le bac avec ses différentes épreuves et ... l’oral de rattrapage qui, comme son nom l’indique, permet aux élèves "méritants" d’avoir quand même leur bac. Ainsi il y a un livret scolaire où sont consignées les moyennes des 3 trimestres et de l’année, une appréciation générale avec un barème d’évaluation et les pourcentages d’élèves de la classe ayant leur moyenne de l’année au dessous de 8, entre 8 et 12 et de plus de 12. Cela dans toutes les matières. Ce livret sera déterminant lors des délibérations du jury et sera donné à l’examinateur le jour de l’oral de rattrapage. En effet, lors des délibérations du jury, lorsque le candidat a le nombre de points suffisant (10 de moyenne), on ne regarde pas le livret scolaire et on lui "donne" le bac . S’il a moins de 8 le jury doit nécessairement lire le livret au cas où.... Entre 8 et 10 il peut se poser deux cas de figures. Certains jury détermineront soit préalablement soit par expérience un nombre de points que l’on peut donner au candidat pour qu’il ait le bac. Ca veut dire par exemple qu’entre 8 et 9,5 les candidats iront systématiquement à l’oral de rattrapage et qu’entre 9,5 et 10 on regardera systématiquement le livret scolaire, on donnera le bac aux candidats dont on se doute qu’ils l’auront de toute façon et on enverra à l’oral de rattrapage ceux dont on en est pas sûr. Par exemple un candidat à 9,5 de moyenne, il lui manque, disons, 18 points en tout, le jury regarde le livret : il a une mention favorable et il s’est planté dans une matière à fort coefficient dans laquelle il a une moyenne annuelle de 13. On lui donne sans hésiter. Il manque à un autre candidat seulement 4 points, on regarde le livret et il doit faire ses preuves avec des appréciations dégueulasses : on l’envoie à l’oral de rattrapage où il y a de fortes chances qu’il se plante pour... 4 points. L’exemple le plus représentatif est cet élève de term E qui était à 1 point du bac, le jury l’a envoyé passer l’oral et il n’a pas eu son bac pour 1 point !
L’oral de rattrapage permet aux candidats qui n’ont pas bénéficié des différentes pondérations, par exemple ils sont tombés sur un jury qui ne remontait pas les candidats même pour quelques points, de pouvoir quand même avoir le bac. La première remarque que l’on peut faire c’est que s’il est déjà difficile de noter une dissertation, il est périlleux voire impossible en l’état actuel de l’oral de rattrapage de philo, de noter un candidat. Un de mes collègues m’a soutenu sans rire qu’il était possible de les juger objectivement sur leur prestation. Folie passagère ou hypocrisie ? Il est fort possible de noter les bons élèves, mais il ont eu le bac ! Pour la plupart, les élèves qui passent l’oral, ont réussi à se hisser jusque là et, maintenant qu’ils y sont, la question qui se pose est : doit-on le leur donner ou pas ? Au fond, il est assez simple de demander le livret scolaire, la note qu’ils ont eue à l’écrit, le nombre de points qui leur manque pour avoir le bac, l’autre matière qu’ils ont choisie, combien ils ont eu. Le temps que le candidat prépare son explication de texte on a tout le temps de réfléchir à la note qu’on va lui mettre, sa prestation, si elle est excellente, permettant le cas échéant de corriger notre jugement. Je me souviens de quelques candidats de S (biologie) ayant pris philo à l’oral de rattrapage avec de très mauvaises appréciations sur leur livrets du genre "non seulement n’a rien fait de l’année mais en plus a perturbé le cours", méritaient-ils vraiment de remonter leur note ? D’autant plus qu’ils avaient eu 9 à leur dissert de philo et que leur moyenne de l’année tournait autour de 6 ! Je dis toujours à mes élèves que la note qu’ils peuvent espérer à l’oral de rattrage est leur moyenne de l’année. Ceux qui ont une moyenne élevée qui pourrait être dépassée (on peut mettre plus facilement 18 à quelqu’un qui a une moyenne de 13 et de bonnes appréciations) n’ont pas besoin d’aller au rattrapage pour avoir le bac. Par contre je me souviens de cet élève qui avait 10 de moyenne annuelle et une bonne appréciation sur son livret, a qui il ne manquait que 9 points et qui avait eu 7 à sa dissertation, au-delà de sa prestation il méritait le bac et il l’a eu !
Correction (septembre 1998) : Il n’y aura plus les livrets scolaires lors de l’oral de rattrapage de philo ! Certains profs avaient trop tendance à mettre automatiquement au candidat la note moyenne de l’année, ce qui faisait qu’il y avait l’apparition intempestive d’une sorte de "contrôle continu". Affaire à suivre !
Addition (septembre 1999) : à l’usage, cela ne change pas grand chose vu que les profs ont accès aux livrets après l’interrogation orale et avant le jury !
Si donc le but n’est pas de faire de la philosophie mais d’avoir une bonne note en philosophie pour avoir le bac, alors il faut dire qu’il est primordial de préparer sa réussite tout au long de l’année non pas en travaillant sérieusement la philosophie et la dissertation mais en "faisant le bon petit", c’est-à-dire en adoptant l’attitude attendue par le professeur et en jouant le jeu de l’Education Nationale, un rôle qui va bien à certains et qui est pour les autres un rôle de composition. Pour cela il faut bien écrire et bien présenter, bien sauter les lignes, poser la question du sujet in intro etc. Il faut montrer aussi que l’on a suivi le cours assidûment et même qu’on a un peu travaillé et lu de la philo. Il faut faire des citations au moins donner des noms de philosophes. L’idéal est d’avoir une thèse de philosophe pour chaque partie de son devoir. Durant l’année, pour chaque notion au programme, il faut ficher les thèses philosophiques pour pouvoir les ressortir le jour du bac (à faire à partir des courts textes du bac). Le devoir doit aussi être assez long. Quatre à cinq pages est un minimum. Nous allons assayer de préciser cela.
Les conseils qui suivent ne sont pas toujours de la haute philosophie mais des "trucs" pour réussir à avoir quand même une bonne note (ou du moins une note acceptable).
Le temps imparti est de quatre heures. Il semble pratique de diviser ces 4 heures en 2 fois 2 heures (temps à titre indicatif, c’est à vous de devenir maître de votre temps).
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