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Hommage à Marc Sautet

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* Apologie de Sautet par Jean-François Chazerans

* " On couche toujours avec des morts " par Jean-Pierre

* Marc Sautet, l’inquiétude d’un "socio-astro-psycho-logue-nome " par Jean-Christophe Grelety

Vers quelle humanité?
Compte-rendu de la rencontre-débat Albert Jacquard / Marc Sautet. Au Trait d’union, premier novembre 1997, par François Housset

Apologie de Sautet

Nous venons de prendre connaissance des articles du Monde et de Libération à propos de la disparition de Marc Sautet (1) et nous avons été surpris par la hargne et le mépris qui s’en dégagent et par la façon partielle voire complètement fausse d’expliquer les choses. Un des points très positif de ces propos fielleux, ne serait-il pas toutefois que Marc Sautet dérangeait encore et toujours les " chiens de garde " (2) et que contrairement à certaines apparences il n’était pas passé dans leur camp ? Après sa consécration à " Bouillon de culture " de Pivot le 20 décembre 1996, nous étions quelques uns à nous émouvoir de la façon qu’il avait eu d’être si à l’aise au milieu de personnages médiatiques très peu fréquentables, comme Ferry ou Comte-Sponville, et de personnages universitaires très peu recommandables tel que Marion. Nous nous étions donc retournés vers lui pour lui demander pourquoi, non seulement il n’avait pas profité de l’occasion pour rompre avec ces " chiens de garde ", mais pourquoi en plus il avait tenté de leur tendre la main ? (3) La réponse qu’il nous avait faite (4) ne nous avait pas satisfait et avait suscité à son tour d’autres interventions (5). Nous attendions une réponse. La maladie et la mort ne lui en ont pas laissé le temps. C’est donc avec toute la satisfaction qu’un tel moment peut permettre que nous nous sommes rendus compte que Marc Sautet ne faisait pas l’unanimité, suscitait l’inquiétude, était dédaigné par les philosophes puristes. Peut-être Marc Sautet n’y était-il pour rien, mais le moins qu’on puisse dire c’est que les chiens de garde ne l’ont pas reconnu comme l’un des leurs !

Quels sont donc les griefs que ces journalistes mettent en avant. Ils sont au nombre de trois. D’abord le " Négationnisme ". Il est dit dans Le Monde que Marc Sautet a commencé à susciter l’inquiétude lorsqu’il a exprimé une " position ambiguë " sur l’existence des chambres à gaz et dans Libération que Sautet avait été aussi à l’origine de polémiques à propos de certaines de ses déclarations sur la question de savoir " si " Hitler a voulu la Solution Finale ou " pourquoi " les nazis l’ont orchestré. On remarquera qu’on ne comprend rien à ce qu’a écrit le journaliste de Libération à cause de son style alambiqué venant, d’après nous, du fait qu’il ne soit pas à son aise et qu’il cherche à éviter d’être accusé de diffamation. Ce qu’écrit la journaliste du Monde n’est pas plus clair : comment tenir une position ambigüe sur l’existence de quelque chose ? On ne s’étendra pas sur ce point car, vu la gravité des faits reprochés, on ne peut avoir une position en demie mesure : soit Marc Sautet a été un négationniste convaincu et le militant anti-raciste et anti-fasciste que nous sommes est révolté à l’idée qu’il n’a pas été traîné devant le tribunal et condamné (comme cela a été fait, par exemple, pour Garaudy), soit ce n’est pas le cas. Or les journalistes oublient de mentionner par quel autre tribunal que Le Monde et Libération, Marc Sautet a été condamné. Ils oublient aussi sa réponse (Le Monde de 7-8 juillet 1996) qui a dû être satisfaisante puisque nos journalistes d’investigation ne semblent pas avoir poursuivi cette affaire. De se vautrer dans la fange comme ils le font aujourd’hui n’est-ce pas d’une bassesse qui frise la diffamation ? Quelle malveillance d’ailleurs de tenir de tels propos diffamatoires dans une notice nécrologique ! C’est vraiment traiter la personne qui est morte avec un mépris démesuré, comme un " chien crevé " en quelque sorte.

Le second grief c’est le " cabinet payant ". Là aussi c’est une vieille affaire, qui semblait être tombée un peu en désuétude et dont Marc Sautet parle déjà dans son livre Un café pour Socrate (6). Marc Sautet aurait profité des cafés-philo pour faire fortune sur le dos des gogos qui y venaient ! Savez-vous qui a, dans les premiers, exprimé sa gêne par rapport aux consultations philosophiques " à 300 balles de l’heure " ? Je vous le donne en mille : le seul " journaliste philosophe " qui ait fait du désintéressement sa seule règle de vie : je veux parler de Michel Field. C’était bien-sûr avant qu’il ne soit le philosophe officiel de TF1 ! Comte-Sponville présent dans la même émission n’a pas été choqué et a même pris la défense de Marc Sautet : il savait lui combien gagne un prof d’université, il savait aussi par expérience combien rapporte un best-seller philosophique (7).
Savez-vous d’autre part combien coûte pour une soirée un escort-boy bardé de distinctions et spécialiste d’astrophysique ? Hubert Reeves, car il s’agit de lui, petit bonhomme sympathique et jovial a demandé 30 000 F. à une petite association que nous connaissons ! Luc Ferry se vendait en 1996 à 15 000 F. pour une conférence de une heure. Nous avons payé 1000 F pour une heure d’intervention un agrégé de philosophie inconnu (combien gagne par mois un vieil agrégé de philo ? 20 000 ? 25 000 ?…) lors de journées philosophiques que nous organisions, ses frais étant, bien-sûr, totalement pris en charge, de surcroît dans le meilleur hôtel-restaurant du coin !
Nous n’allons pas faire une liste exhaustive mais on peut quand même se demander pourquoi on va tirer à boulets rouges sur Marc Sautet alors que ce qu’il fait est pratique courante de ce milieu philosophico-médiatique. Même qu’il se moque moins du client car il était bien meilleur marché ! Il avait au moins comme on dit un bon rapport qualité-prix ! Pourquoi alors certains ne s’en sont pas privés ? Est-ce à cause de la légende Socratique ? Nous savons que contrairement aux Sophistes, Socrate ne faisait pas payer ses leçons. Bon d’accord mais est-ce vraiment la seule distinction que l’on puisse faire entre Socrate et les Sophistes ? Les sophistes n’étaient-ils pas plutôt jugés tels parce qu’ils faisaient payer très cher des leçons qu’ils donnaient à la jeunesse dorée athénienne afin de leur apprendre des techniques de domination et de manipulation ? Nous en venons au troisième grief.

Les cafés-philo ! Marc Sautet a toujours considéré qu’il avait crée le Cabinet de Philosophie mais que les " café-philo " lui était " tombés dessus " ! S’il en a été l’initiateur c’est, nous pensons, en ce sens. Son très grand mérite c’est donc de ne pas avoir " jeté le bébé avec l’eau du bain " et, non seulement d’avoir assumé sa paternité, mais d’avoir cherché à promouvoir sans ménager ses efforts cette façon plutôt originale de pratiquer la philosophie. Car même, chose improbable, s’il avait toujours voulu être un chien de garde comme les autres, il n’a pas frappé d’ostracisme les cafés-philo comme tous les autres l’ont fait. Bien que cela ait tendance à changer très rapidement, encore peu d’animateurs ont une formation philosophique universitaire, peu sont profs de philo. Ces derniers ont, jusqu’à ces derniers temps, toujours rejeté violemment ou juste ignoré les cafés-philo (8). A contraire Marc Sautet est allé jusqu’à les défendre contre eux et contre les philosophes collabo-médiatiques (9). S’il l’a fait est-ce vraiment pour en tirer profit pour son " cabinet privé " ? Nous pensons qu’il ne le pouvait pas pour la simple raison qu’il a été très vite dépassé par sa descendance. C’est peut-être pour cela qu’il est si controversé : il a fait " tampon " et a pris des coups de tous les côtés. Le " mouvement " (10) des cafés-philo a toujours été acéphale au pire multicéphale, les participants étant farouchement indépendants. Deux reproches contradictoires étaient faits à Marc Sautet et surtout à Philos, son association : trop chapeauter le mouvement, ne pas en faire assez pour le structurer. La disparition de Marc Sautet va-t-elle y changer quelque chose ? Les chiens de garde trouveront-ils une nouvelle tête d’affiche qu’ils pourront dépecer pour essayer d’abattre le mouvement ? Nous verrons bien. Pour le moment, non seulement le mouvement s’organise de plus en plus tous azimuts, mais déborde de toutes parts. Quelques exemples autour de nous : les petites et moyennes villes autour de Poitiers (Saint-Maixent, Melle, Parthenay, Saintes…) commencent à toutes avoir leur café-philo, le débat philosophique commence à devenir une activité privilégiée de toute association qui se respecte (11). Nous avons mis en place depuis septembre 97, un club-philo hebdomadaire dans un collège près de Poitiers (12), et nous avons projeté de faire des interventions sous forme de débats-philo dans certains lycées Professionnels. La Fondation 93, organise depuis plusieurs années des interventions auprès d’élèves en grandes difficultés scolaires (classes SEGPA). Elle y est aidée cette année par un plus grand nombre d’animateurs de cafés-philo. La ville de Poitiers a organisé en novembre dernier sa deuxième Nuit Philosophique, qui fût encore un réel succès (13). Il faut aussi au moins lire le sommaire du Bulletin n°11 (mars 1998) de l’Association pour la Recherche en Didactique de l’Apprentissage du Philosopher de Michel Tozzi (14) et aller se " promener " sur les sites philosophiques de l’Internet. Nous n’allons pas, non plus ici, faire une liste exhaustive mais une question se pose tout de même : pourquoi nos journalistes du Monde et de Libération ne parlent-ils jamais de cela ? Ce n’est certes pas si intéressant pour leurs lecteurs mais ils pourraient aussi en parler ! Ils auraient même pu profiter de la disparition de Marc Sautet pour au moins en faire mention. Au lieu de cela la journaliste du Monde semble nous resservir des informations vieilles d’au moins deux ans. Où a-t-elle pris par exemple qu’il y avait une trentaine [de cafés-philo] à Paris et en banlieue, autant en province ? Les listes étant disponibles sur Philos, le Vilain Petit Canard et sur Internet, sur le site de Marc Sautet et sur le nôtre, n’aurait-elle pas fait sérieusement son travail ? A moins qu’il ne s’agisse de sous-évaluer un phénomène plutôt dérangeant !

Nous pouvons dire que Marc Sautet a énormément compté pour nous puisque, non seulement c’est lui qui nous a donné l’idée - et l’envie ! de créer un café-philo sur Poitiers, mais il nous a soutenu par ses conseils attentionnés dans cette création et dans le développement de cette entreprise. C’est donc une bonne chose qu’il soit considéré comme l’initiateur et le promoteur des cafés-philo qu’il les ait inspirés ou parrainés, d’autant plus que ce ne semble pas être un compliment sous la plume de nos journalistes puisqu’ils vont jusqu’à penser qu’il a tiré parti du mouvement populaire de désarroi existentiel et de l’engouement qui en procède pour le " prêt-à-penser " et la sagesse sous toutes ses formes qui est un entichement français pour la philosophie de comptoir, qu’il fût un pilier de la philosophie de comptoir.
Nos journalistes iraient-ils jusqu’à penser qu’après avoir fait passer la philosophie, avec les cafés-philo, de l’estrade de l’université au comptoir du café, il l’avait fait passer, avec le cabinet de philosophie, du comptoir au trottoir ? Cela ne s’est malheureusement pas passé comme ça et c’est dommage parce qu’après le trottoir, c’est la rue ! L’horreur pour les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent ! La philosophie dans la rue ! A force de crier sur tous les toits que tout le monde est capable de faire de la philosophie - nous sommes dans une démocratie libérale que diable ! - " tout le monde " s’en est cru capable. Alors c’est devenu plus visible : non seulement tout le monde ne faisait pas de philosophie, mais il fallait que tout le monde n’en fasse pas : trop dangereux pour les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent ! Il fallait même tout faire pour empêcher que tout le monde en fasse ! Comme les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent pensent que tout fonctionne comme le chien-de-gardisme, ils pensent que cela n’a pas fait gagner d’auteur à la philosophie ! Qu’entendent-ils pourtant par auteur ? Des gens tels que Bernard-Henry Levy, Luc Ferry ou Alain Finkielkraut ? N’est-ce pas ce qui est justement remis en question par les cafés-philo ? Les auteurs ne sont-ils pas seulement des chiens de garde qui occupent le terrain de l’opinion en parlant pour ceux qui sont privés de parole (15) ? Suffisait-il alors de tout faire pour déconsidérer le leader, la tête d’affiche, Marc Sautet, au yeux de l’opinion et d’essayer de mettre en avant d’autres " prétendants " pour tuer dans l’œuf le processus engagé ? Rien n’y a fait, non seulement Marc Sautet a tenu le choc, mais la réalité est bien pire que leurs pires cauchemars ! Marc Sautet a bien permis à la philosophie de descendre au café et même sur le trottoir, maintenant elle est dans la rue. Attention chiens de garde, " certains " vont avoir les moyens de botter votre cul de plomb !

Jean-François Chazerans

Notes :

(1) Marion Van Tenterghem, " Marc Sautet : l’initiateur des " cafés philo " ", Le Monde du 4 mars 1998 et Marc Ragon, " [Mort de ] Marc Sautet, pilier de la philosophie de comptoir ", Libération, du 3 mars 1998.
(2) Voir Paul Nizan, Les chiens de garde, Maspéro et Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber éditions, 1997.
(3) Jean-François Chazerans, " Du nouveau sur le front de la philosophie nouvelle ? " L’Incendiaire n°3 et " pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? "
(4) L’Incendiaire n°7.
(5) L’Incendiaire n°8
(6) Robert Laffont, 1995, pp. 48-60.
(7) Admettons que l’auteur ait 10 % sur les ventes mais ce n’est le cas que des petits éditeurs genre l’Harmattan, un livre vendu 16 €uro. à 100 000 ex. rapportera 1 000 000 F. ! Quand même ! Alors lorsque vous voyez en couverture du Monde surtout le vendredi (jour du marché du livre !) une pub de ce genre : " Luc Ferry, L’homme-Dieu ou le sens de la vie. 130 000 exemplaires " avec une photo où Luc Ferry est en train de sourire… mais de sourire à n’en plus finir, ne vous demandez pas pourquoi !
(8) Voir " Aux professeurs de philosophie de l’Académie de Poitiers ", " Du nouveau sur le front de la philosophie nouvelle ? " L’Incendiaire n°3, " Pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? " et " Réponse à Marc Sautet ", L’Incendiaire n°8
(9) Voir Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Liber éditions, 1996.
(10) Peut-on encore sans en rire parler de " mode " ? Une mode qui dure aussi longtemps (6 ans) est en mouvement ou une " mouvance " !
(11) Un exemple parmi d’autres : Agnès Le Nours, la présidente de l’’association Philosophie par tous, à participé à l’animation d’un débat proposé par le CIDF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes), le samedi 7 mars 1998.
(12) L’Incendiaire n° 11.
(13) Voir l’Incendiaire n°10
(14) C’est très représentatif du bouillonnement actuel. Une grande diversité des contributions qui vont, pour faire très court, des profs de philo toutes tendances confondues aux cafés-philo toutes tendances autant confondues. ARDAP n°11 - Michel Tozzi 2, rue de Navarre, 11100 NARBONNE. Tél : 04 68 65 34 36.
(15) Voir Patrick Champagne, Faire l’opinion, Minuit, 1990.

" On couche toujours avec des morts " (1)

" La vocation du philosophe n’est pas de se taire. Ce n’est pas sur le repli sur soi qu’il joue son rôle. C’est dans la rue, dans la cité, en se mêlant à la vie de chacun...Il veut savoir mais ne veut pas être dupe. Et s’il a une chose à enseigner, c’est cela. Il y faut de l’application, de la méthode, de l’attention, de la concentration, du calme, mais aussi l’inverse: la confrontation avec le réel, la fréquentation de la foule, l’affrontement avec ceux qui prétendent abuser les autres. La méditation et la lutte. Le silence et le brouhaha. La solitude et l’agora. " (2)


C’était un lundi, un lundi de neige, de travail, de nouvelles mauvaises.
Un de ces lundis comme il y en a beaucoup d’autres, un de ces lundis de vacances qu’on voudrait éternelles.
Et toi justement, dans le monde d’éternité, dans le monde des Idées, tu t’en es allé, alors que d’autres, qui ont la tête basse parce que certains l’ont haute, commencent leur semaine. Mais peut-être est-ce ce temps qui passe et repasse toujours les mêmes platitudes, qui t’a grignoté la tête, davantage que l ’éternité ?

On se souviendra de toi comme l’initiateur des Cafés-Philo, là où, n’en déplaise aux philosophes et penseurs officiels, d’autres peuvent enfin se délecter de café-crime de lése-philosophie.

Mais ton style aura été peut-être de dire, ou de redire, que le café ne peut être réduit à un simple lieu de consommation, où beaucoup, "aidés" d’alcools trompeurs, viennent oublier qu’ils peuvent se connaitre eux-mêmes, où beaucoup viennent s’oublier parce que leur parole leur a été volée.

T’es parti un de ces lundis d’ennui semblables à ces jours de la semaine parce que ces lundis sont des lundis d’oppression comme les autres jours.

Et ton style aura été peut-être de penser que le café est aussi le miroir de la rue lorsqu’elle déferle d’en avoir assez de l’oppression, qu’il est aussi le lieu de la parole réappropriée.
Ton style aura été peut-être d’avoir, à ta manière réaffirmé, combien l’oppression est l’ennemi de la pensée, et combien la pensée restera l’arme absolue contre l’oppression, et combien la vie seule s’impose tant qu’elle pense sur l’oppression.

Et c’est peut-être bien pour ça que t’es parti un lundi comme pour nous dire qu’il y a certes toujours tant à penser et à faire, mais qu’ il y a aussi tant à espérer en la pensée, celle de l’homme philosophe, celle de l’homme qui a du coeur, car le début de la semaine, comme les autres jours, c’est toujours le début du temps à vivre.


C’était le lundi 2 mars 1998.
Salut Marc.

Jean-Pierre

Notes :

1. Pépé. Léo Ferré
2. Un café pour Socrate. Marc Sautet.

Marc Sautet, l’inquiétude d’un "socio-astro-psycho-logue-nome(1) ".

Un manichéisme dangereux :


Notre époque occidentale a vu le déploiement d’une différenciation du sens de l’être, autour de la grande division de la Raison et de l’Irrationnel. Cette division, qui passe pour être " philosophique " tant la primitive langue de " la Philosophie " dans les dialogues de Platon subit le jeu dangereux des divisions manichéennes et porte en elle la simplification de l’opposition entre " la " raison et " l’ "irrationnel, est donc devenue un succès " commercial " puisqu’elle s’est répandue en tant que division sensée de l’être et sur laquelle des auteurs ont construits de forts ouvrages savants -pour des auteurs qui, bien entendu, sont du côté de "la raison ". Ainsi, quelques scientifiques, des " chercheurs " de sciences exactes, par exemple membres de l’Union Rationaliste, ont-ils pour habitude de jouer les gardes-fous de la conscience raisonnable qui peut être menaçée par les fascinations de l’irrationnel ! Et pourtant cette division ne peut être rattachée aux dialogues de Platon dans lesquels cette division schématique et manichéenne est, de nombreuses fois, contestée par Socrate. Un Café pour Socrate, paru aux Editions Robert Laffont en 1995, est écrit sur cette division et sur ces ambiguïtés. Ainsi, Marc Sautet demande t-il l’usage du " logos " en commun dans les débats de Philosophie dans les cafés afin de penser aux moyens et aux raisons que nous pourrions nous donner en commun pour éviter une guerre civile possible et qui, en même temps, écrit, avec conviction : " La plupart des hommes ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans le royaume des ombres du seul fait qu’ils se subordonnent aux besoins de leur corps. Et ce qui les y plonge davantage, c’est qu’ils ne connaissent pas les lois de l’histoire. Le peuple croit pouvoir satisfaire ses appétits en disposant du pouvoir de se gouverner lui-même. Il ne comprend pas qu’il se trouve dans une situation qui compromet l’objectif qu’il se fixe. Tandis qu’il se croit libre, il est plus que jamais prisonnier d’une fatalité qui l’accable. La soif de s’enrichir est telle chez certains que rien n’arrête leur cupidité dès lors que la " liberté " règne. Pour la grande masse, les chaînes de la nécessité deviennent de ce fait plus serrées que jamais, sans que pour autant la lumière se fasse : manipulés pendant un temps par ceux qui s’enrichissent à leur détriment, ils le sont ensuite par ceux qui leur promettent de tout partager . Et quand ces promesses n’ont plus cours, on peut encore les distraire. D’où les montreurs de marionnettes, dont les auteurs de comédie. Aussi difficile à admettre que cela soit, la condition humaine est telle que la plupart des hommes ne sortiront jamais de cette caverne. De ce point de vue, leur sort n’est pas plus enviable que celui des morts. Du moins, de la majorité des morts. Car là aussi, il y a un malentendu. On s’imagine en général que la vie provient du sol. Mais c’est un point de vue de cultivateur. Cette conviction repose sur une pratique paysanne millénaire. Mais il est une autre pratique, un autre mode de vie, qui indique que la vie vient du ciel. C’est la pratique des guerriers, le mode de vie des prédateurs, des hommes qui fondent du haut de leur repaire, ou de leur char, sur l’ennemi ou sur la proie. Ceux-là habitent toujours au-dessus du sol foulé par le commun des mortels. Ce sont les conquérants, les nobles, les aristocrates. Ils ont sur la mort une perspective opposée. Lorsqu’ils meurent et que leur corps tombe à terre, leur âme ne tombe pas avec lui : elle ne le suit pas, elle s’élève. Elle s’élève aussi haut que possible, et bien au-delà des nuées humides. Venue du ciel, elle y retourne. En abandonnant la matière qu’elle a animée, elle ne s’enfonce pas dans le sol, elle s’envole. Elle ne peut pas s’y enfouir. Sa nature le lui interdit. Dans le corps déjà, elle aspire toujours à s’élever. Sans doute y a t-il des âmes basses, des âmes glaciales, des âmes humides, et sans doute la majorité des hommes est-elle pourvue de celles-ci. Peut-être alors, en effet, ces âmes, plus matière qu’esprit, plus désir que courage, sombrent-elles dans les nappes d’eau souterraines où un triste sort les attend. Mais les autres âmes, les âmes d’élite, comment douter qu’elles s’élèvent ? C’est pourquoi leurs " descendants " ne doivent pas croire que le royaume des ombres leur est destiné . Lorsqu’un homme de cette race s’éteint, son âme de descend pas chez Hadès, elle va s’inscrire au firmament, dans la poussière des étoiles qui l’ont précédée. " (La revanche de Platon, Un café pour Socrate, p. 270-271) et " Ce qui semble sûr, c’est que cette question a de l’avenir. L’heure est au bilan. Et il est lourd. Le progrès de la société marchande se paie très cher. Rien ne garantit qu’il poursuive sa marche en avant au profit de tous, bien au contraire. Plus les " choses " progressent, plus les menaces se précisent : inutile de reprendre ici la liste. Comme à l’époque de la prospérité des anciens grecs, un mal est à l’œuvre qui ressemble furieusement au fléau invisible dont ils étaient frappés. Emus par les plaintes qui s’élèvent de toutes parts, les chefs d’Etat des pays riches, qui répondent du destin de leurs peuples, promettent de prendre les mesures qui s’imposent, dès qu’ils tireront au clair la cause première du fléau. Mais il semble qu’ils aient beaucoup de mal à trouver le bon oracle. D’où ma dernière suggestion, à leur intention : s’ils n’ont pas le temps de relire Platon, qu’ils envoient leurs émissaires à Delphes -pour y consulter la pythie " (En guise de conclusion, Un café pour Socrate, p. 311-312). Les références de ces deux textes, l’existence de l’âme et d’âmes nobles appartenant à une " race " supérieure, l’existence de la Pythie seul véritable oracle qui pourrait répondre à la question et au problème de la cause du fléau, ne sont pas, dans la modernité " philosophique " universitaire, des références raisonnables, mais " poétiques ". Or ces références sont, pour l’économie textuelle et pour la pensée personnelle de Marc Sautet, des références fondamentales car, à l’instar du Socrate du Phèdre de Platon, la " mythologie " n’est pas le monde des fictions mais de récits " sacrés " qui impliquent l’existence et l’action des Dieux -qui existent. Marc Sautet reprend à son compte la différence de la " raison " et de " l’irrationnel ", mais dans le développement de ses idées et des certitudes, reprend à son compte des éléments qu’une certaine tradition " philosophique " a considéré comme appartenant à " l’irrationnel ", tels l’existence de l’âme, la différence des âmes, la possibilité d’un oracle qui transmet un véritable message d’une entité externe au monde humain…





Bousculer les oppositions sémantiques et historiques pour créer la vraie raison :


La lecture d’un Café pour Socrate n’est pas nécessairement aisé puisque le style de Marc Sautet mêle faits et raisonnements compréhensibles par tous et faits et raisonnements plus " ésotériques " ou complexes. Ce qui a occasionné la perception d’une contradiction évidente dans la formulation de son discours : l’adéquation de la réalisation de la pensée philosophique avec une pensée compréhensible par tous, et l’usage de références dont le sens et l’articulation sont restées enigmatiques ou incompréhensibles, ce qui à ses yeux était l’une des caractéristiques de ce " discours des experts " qu’il honnissait. Je propose de suspendre, pour un temps, la division de l’être en Raison et Irrationnel et de partir du principe suivant : ce qui est vrai en un certain sens, c’est ce qui est possible et réel -à la différence du principe idéaliste : ce qui est vrai, c’est ce qui est " idéal " ou Idée, et positiviste : ce qui est vrai est ce qui est " réel " perceptible et mesurable scientifiquement. Or, selon Platon et Marc Sautet, ce qui est possible et réel -a largement tendance à " dépasser notre entendement " ! Lisons : selon Platon dans " Politeia ", la condition humaine peut être représentée par le récit dit de la " Caverne ". Or qu’est-ce que nous raconte " la Caverne " ? : des hommes, qui se croient fermement libres, sont manipulés mentalement de telle manière que se produit en eux une traitresse sensation de plaisir mental, et lorsqu’ils l’apprennent de la bouche d’un ancien congénère d’infortune, le tuent tant ils ne peuvent pas croire à l’incroyable qui est… qu’ils puissent être connus et utilisés en tant qu’instruments, ce qui les rend comparables à n’importe quelle machine. Et selon Marc Sautet " on l’ignore, ou l’on ne s’en souvient plus. Je me permets de rappeler que la direction du parti communiste allemand, en la personne de Thaelman, intima l’ordre à ses " camarades " de refuser toute collaboration avec les membres de l’autre parti ouvrier ! Etait exclu quiconque passait outre la consigne. Quel désarroi, alors, dans le parti, quelle déconvenue, et quel temps perdu au moment le plus important. Comment commettre plus grosse bévue ? Mais était-ce bien une bévue ? Si l’on enquête un instant sur cette fatale prise de position, on remonte très facilement jusqu’à… Staline. Car c’était Staline, le vrai " patron ". C’était lui le seul maître à bord. C’est lui qui commandait en personne tous les partis communistes par l’entremise de la 3ème Internationale, véritable " courroie de transmission " des ordres venus du kremlin ! Les historiens de cette période finiront bien par le faire savoir dans leurs manuels : c’est Staline qui a donné ordre à la section allemande de l’Internationale, à savoir au parti communiste allemand, de ne pas s’allier aux sociaux-démocrates pour combattre Hitler ! Qu’on songe à la paralysie dans les rangs ouvriers au moment où Hitler devient le kanzler ! Qu’on songe à cette incroyable défaite sans combat (inexplicable autrement, tant la volonté d’en découdre avec les nazis était forte), à cette cascade d’assassinats de dirigeants ouvriers (sans distinction d’étiquette), à ses camps de concentration improvisés où se sont laissé parquer les milliers de cadres politiques et syndicaux (hébétés) de la classe ouvrière, et l’on comprendra peut-être l’aide prodigieuse que reçut Hitler de Staline. " Marc Sautet nous raconte là un " mystère ". Comment l’ennemi de la classe ouvrière, Hitler, a t-il pu être aidé dans son accession au pouvoir en Allemagne par le représentant supposé " révolutionnaire " de la communauté ouvrière internationale ? Car ce que laisse sous-entendre Marc Sautet, à mon avis, c’est qu’il y eut collusion amicale, et que, contrairement à ce qu’il représentait, Staline (l’homme de fer), n’était pas le grand frère protecteur de la communauté ouvrière, ce que l’Histoire passée de l’ex-URSS nous montre d’une manière particulièrement claire. Or cette collusion signifie complot contre la communauté ouvrière. Il ne faut pas oublier que Marc Sautet fut, dans sa jeunesse, adhérent à une organisation trotskiste. Et dans cette organisation, Staline a toujours été considéré comme il fut, objectivement donc un dictateur sanguinaire. Mais dans cette collusion, Marc Sautet soupçonne plus : un ordre mondial qui se donne pour objet entre autres de développer et de contrôler une masse de " travailleurs " et, le cas échéant, de massacrer dès que la situation l’exige ces travailleurs révoltés. Nous pourrions ajouter, point de vue personnel, que l’affichée doctrine nationale-socialiste, ancrée dans la signalétique hindoue-aryenne, eut sans doute un sens classique pour ses promoteurs nationaux-socialistes, soit une société de castes-classes dans laquelle la classe des travailleurs est subordonnée à celle des brahmanes pour lesquels l’acte religieux par excellence est le sacrifice… Mais c’est dire aux travailleurs qu’ils sont concrètement des jouets ! Selon Marc Sautet, ce rapport social de pouvoir peut nous conduire, dans les années à venir, à une nouvelle guerre civile, qui, à l’instar de celle du Péloponnèse dans l’antiquité grecque, ruinera l’ensemble des forces… faibles, sera une grande machine de mort. Dans leur rapport à la dynamique du Temps de l’Histoire en train de se faire, les " philosophes " professionnels contemporains ont eu tendance à prendre pour repère la seconde guerre mondiale avec les exactions qui la caractérisèrent pour une apogée insurpassable de l’horreur et pour une Histoire qui s’est heureusement finie le 8 mai 1945, avec le retour des démocraties représentatives et parlementaires. Marc Sautet rappelle que l’Allemagne nazie est sortie de la démocratie allemande, que la " démocratie " n’est peut-être pas le plus beau nom possible pour le plus beau gouvernement tant elle symbolise également, par le culte du profit qui la caractérise, la communauté de tous les égoïsmes ; et il nous " prédit " littéralement, par la comparaison Monde Ancien-Monde moderne, la guerre civile, le " retour du boulet ".


1 - L’astrologie ou de l’exercice des forces :



C’est que j’appelle la répétition d’une prédiction de type astrologique dont les cartes célestes représentent des forces précises et qui, nécessairement, doivent rentrer bientôt en rapport les unes avec les autres, de manière conflictuelle. Car, et c’était là l’une des caractéristiques de l’astrologie classique, l’évolution des planètes et des configurations stellaires les unes avec les autres provoquaient nécessairement de nouvelles configurations où, chacun sait, Mars a souvent le beau rôle… La représentation de ce qui sera une situation collective s’apparente au fait de : la voyance, la prophétie… Et il s’agit là d’un type d’activité universelle que " la raison " énonce comme appartenant à son contraire, " l’irrationnel ", et Marc Sautet lui-même reprend cette différenciation : " Profitant du discrédit inexorable des prêtres et des pasteurs, les médecins de la psyché se trouvent désormais en concurrence sauvage avec les astrologues, les numérologues, les cartomanciennes, les voyantes, les marabouts, les yogis et autres gourous du new age. Sans être nécessairement plus performante que toutes les variantes des " sciences occultes " et des pratiques magiques, la psychothérapie peut du moins mettre en avant la garantie du sérieux de ses fondements théoriques. Mais de quelle efficience peut-elle se parer pour prendre en charge ce qui n’est pas de son ressort ? A y bien réfléchir, les thérapeutes excèdent de très loin leur domaine de compétence dès lors qu’ils s’avancent sur le terrain de l’aventure humaine, comprise dans sa totalité, dans son histoire, son développement, ses aléas, ses régressions, ses promesses, ses espoirs déçus, ses perspectives, avec l’impact de cet ensemble de données sur la personne qui vient les voir. De ce point de vue, la légitimité des sciences occultes n’est pas inférieure à celle des thérapies de toutes sortes, bien au contraire, puisqu’elles se présentent comme une réponse à la question de la destinée. " Vais-je connaître le bonheur ? " Ou bien : " Vais-je rencontrer l’âme sœur ? Devenir riche ? Conserver ou retrouver la santé ? "-voilà ce qui fait l’objet d’une consultation de ce type. (…) Il n’empêche ! Au-delà des formulations naïves de la " demande ", et en deça des conséquences macabres qu’elles peuvent avoir, ce qui pousse les gens chez les praticiens des sciences occultes, c’est la place de chaque individu dans le tout : la fortune, l’amour, le pouvoir, tout ce que chacun peut attendre de l’existence, sont au cœur de leur démarche. En un mot, ce qui est au cœur des consultations, c’est la question du destin. Avec la part du hasard et la part de necessité qu’il comporte. Car l’astronomie n’impute pas à son client la responsabilité complète de ce qui lui arrive, il l’avertit des courants favorables ou défavorables à ses actions et lui suggère d’adapter ses choix aux " configurations " stellaires en place. D’emblée, la personne qui consulte se trouve resituée dans un tout qui la dépasse de très loin, ce qui est à priori au moins aussi juste que de polariser toute la destinée de l’individu sur son passé personnel et sa difficulté à l’assumer. " (Avant-propos, Un café pour Socrate, p. 12-13). Les propos relativement élogieux de Marc Sautet pour la phénoménologie astrologique doit nous inciter à prendre en considération cette annulation des différenciations et des catégories de sens que nous avons l’habitude d’entendre et d’utiliser : le philosophe, le sociologue, l’astrologue, le psychologue. Cette différenciation est la conséquence du développement du système de l’Idéalisme hégélien sur l’ensemble des universités européennes et sur une division du travail ! Car la grâce de cette différenciation " abstraite-concrète " pour parler ce langage hégélien est de multiplier des experts sur des domaines spécifiques, ce qui, dans le domaine des dites " sciences humaines " a précédé dans l’Université cette multiplication dans l’ensemble des domaines du travail industriel, de la mécanique des fluides à la médecine. Or Marc Sautet conteste pratiquement, par son récit astro - socio - psycho - logique - nomique, cette division du travail et du sens, …, conteste pratiquement la machine universitaire, et notamment la machine des U.F.R. de Philosophie. Et Marc Sautet le dit d’ailleurs très clairement : "Passons à l’Université ! Certes, le sort des universitaires paraît plus enviable. Sans même parler des conditions de travail en tant que telles (nombres d’heures de service, montant du traitement, " population " à former…), il semble que le professeur d’université se trouve dans une situation moins délicate sur le plan éthique, puisque sa liberté d’action est nettement plus grande que celle du professeur de lycée : les programmes soient moins contraignants, il peut déployer son enseignement autour d’un axe de recherche personnelle, n’a de comptes à rendre à personne sur ce qu’il dit… Mais, en réalité, sa relation avec l’Etat, son employeur, en change pas : il continue de vendre ses services. Qu’il le veuille ou non, il vend son enseignement, et, à moins de refuser de le qualifier de philosophique, il doit bien admettre qu’il vend de la philosophie et, par conséquent, qu’il fait de la philosophie une marchandise. (…) Encore faudrait-il savoir par quelle voie il a obtenu son poste. Qu’on interroge donc ceux qui ont réussi à se faire coopter dans le corps des professeurs d’université ! Qu’on interroge, avant tout, ceux qui ne sont pas encore cooptés, ceux qui occupent encore le rang subalterne de maître de conférences et, surtout, ceux qui convoitent un poste, ceux qui n’en peuvent plus d’attendre une promotion, après des années de bons et loyaux services dans le secondaire, ou ceux qui, tout frais émoulus de la dernière promotion de l’Ecole Normale Supérieure, sont hantés par la perspective de devoir y faire leurs classes ! Qu’on les interroge tous, et l’on verra quel traitement ils doivent infliger à leur éthique pour franchir l’obstacle. Que de visites faut-il faire pour préparer une candidature ! De quelle courtoisie il faut faire preuve ! Que de diplomatie il faut déployer ! Quels compromis il faut passer pour entrer dans les plans de ceux qui disposent d’un pouvoir ! A n’en pas douter, la fin, ici, justifie les moyens. " ! Cette " secte " bureaucratique qui a une passion religieuse pour le terme et les manuels de " l’éthique ", l’Université, est, selon Marc Sautet, peuplé de petits machiavels pour lesquels la " fin justifie les moyens " ! Ce n’est pas ici que nous pourrons étudier l’état général de l’Université Française (cf. " La recherche philosophique en France ", rapport de la commission présidée par Pierre Magnard et Yves Charles Zarka, 1996) mais ce que nous pouvons indiquer, c’est que les U.F.R. de Philosophie dans les universités françaises sont actuellement des serpents qui se mordent la queue dans la mesure où l’objet des études philosophiques est… "la Philosophie ", ce que les autorités universitaires désignent de ce nom pour rassembler des auteurs dans le corpus ! Dans ce nid de serpents où les bonnes manières dissimulent un égoïsme bien compris, les petits machiavels se prennent donc dans les filets de la manipulation psychologique où il s’agit d’apparaître -plutôt que d’être, d’émettre les signes de la vassalité et de l’ortho-doxie intellectuelle -plutôt que de penser. Et ainsi Marc Sautet ajoute une corde à son arc lyrique : la " psychologie-nomie ". C’est en effet ce qui constitue la trame de fonds de " Un café pour Socrate " : ce que pense Nietzsche et pourquoi, ce que pense Platon et pourquoi, ce que pense le " peuple démocratique " actuel et pourquoi.

(à suivre)

Des lecteurs de l’Incendiaire éprouveront peut-être une certaine surprise à lire cet article par lequel j’entends rendre hommage à la personne de Marc Sautet, s’ils ont en effet lus l’article que j’ai fait paraître dans cette même revue sur Marc Sautet (n°8 ). C’est que, bien que nous ayons cessé de collaborer depuis 1 an et demi et après que je me sois expliqué sur les accusations que j’estimais être en droit de porter sur la nature de ses actions et de certains de ses propos, Marc Sautet, après la révélation de sa maladie, a décidé de m’écrire et me demander que nous nous renvoyons pour travailler ensemble sur certains projets d’éditions. Par sa lettre, il a manifesté une certaine compréhension des griefs que je lui avais adressé -partagés dans l’ensemble par Jean-François Chazerans- et il semble que sa dernière intervention radiophonique lui ai permis d’affirmer que les débats de Philosophie dans les cafés devaient être animés par une réelle orientation de pensée commune sur notre temps et sur ce que nous sommes, ce que j’approuve entièrement et défendrai dans un article à paraître dans les colonnes d’un prochain numéro de l’Incendaire sous le titre " Y a t-il des débats de Philosophie en France ? "

Jean-Christophe Grellety

(1) cette formule n’est nullement péjorative !

 

Vers quelle humanité?

Compte-rendu de la rencontre-débat Albert Jacquard / Marc Sautet
Au Trait d’union, premier novembre 1997, par François Housset

Pour Albert Jacquard, "nous sommes l’aboutissement d’un cheminement vers la complexité", avec nos milliards de neurones qui font notre supériorité sur tout animal. Mais ce cheminement n’est encore qu’un cheminement naturel ; notre réel "plus" est dans quelque chose de plus complexe encore que chacun d’entre nous: "l’humanité", que les hommes constituent à mesure qu’ils se lient les uns aux autres. Or nous allons plutôt vers l’inhumanité: la compétition est aujourd’hui considérée comme le moteur de notre société. Et Jacquard exulte: "l’émulation oui, la compétition non!" Faut dire que nous sommes à l’avant-veille de la parution de son dernier bouquin, où il raconte deux fables: la première met en scène la victoire des banquiers, la seconde celle de l’humain. Et de montrer du doigt ces banquiers qui monnayent tout, confondant ce qui est marchandise (les objets, la nourriture...) et ce qui ne l’est pas (la culture, l’humain...). Croire les banquiers, c’est ne plus croire en l’humanité: il y aura bientôt neuf milliards d’hommes sur notre petite planète; la terre pourrait bien nourrir neuf milliards d’agriculteurs du Bangladesh, mais seulement quelque centaines de millions d’Albert Jacquard. Les banquiers nous préparent à une énorme inégalité, très dangereuse pour l’humanité: il faudra que les plus riches soient très forts pour résister à la masse des citoyens paupérisés.
Jacquard pense qu’une révolution se fera de toute façon, et qu’il vaut mieux la mener que la subir. À Pascal Hardy, persuadé que l’homme ne change pas, faisant allusion aux oeuvres d’Aristophane qui décrivait déjà les comportements humains d’aujourd’hui, et supposant qu’il faut seulement créer de nouveaux rapports, puisqu’on ne changera pas l’homme, Jacquard répond qu’il y a pourtant une nouveauté: l’énorme augmentation de notre pouvoir nous oblige à changer. On ne vit pas de la même façon qu’il y a cent ans quand notre population décuple.

Marc Sautet est bien d’accord pour dire du mal des banquiers, mais ne vit pas dans le même monde que Jacquard: pour lui, la compétition n’est pas un fait nouveau, qui ferait reculer l’humanité se constituant aujourd’hui. Car la compétition est au fondement de l’humanité: archaïque, elle est bien antérieure à celle des hommes entre eux. Il y eut de tout temps une compétition des espèce les unes envers les autres; c’est parce que peu à peu nous avons asservi (ou éliminé) les autres espèces que la rivalité est au fondement même de notre existence humaine. En ce qui concerne les banquiers, souvenons nous qu’ils ont d’abord représenté la liberté de l’homme: vassal d’un seigneur qui le protégeait contre les barbares (ces hommes dont on disait qu’ils n’étaient encore que des animaux(1), l’hommes’est humanisé dans la servitude. Or les serfs se sont affranchis grâce à l’argent. "Nous nous sommes asservis à une puissance qui nous a libérés."
C’est le libre échange qui fait que les hommes ne sont plus liés à desseigneurs. Mais ils se doivent dorénavant de vénérer le dieu Or... qu’ils ne peuvent que servir! "La démocratie produit l’inverse de ce qu’elle promet": le libre-échange a paupérisé l’immense majorité des citoyens, le peuple, en voulant son bien, a fait son propre malheur. "L’homme blanc" a beau jeu, dès lors, de verser des larmes de crocodile en se rendant compte que l’immoralisme qu’il a répandu autour de lui va se retourner contre lui. La révolution, Marc la voit venir, lui aussi, mais sans nous: en parlant d’égalité, de partage, nous nous berçons de "leurres utopiques": pendant ce temps, le monde exclu et exploité jusqu’ici prépare sa revanche! Le temps que nous prenons pour le méditer, d’autres le prennent pour réagir: nous sommes donc comme le cycliste se regardant pédaler -et qui se casse la gueule.

Comme l’a dit Gunter Gohran, c’était donc la conception même de l’homme qui était en jeu. Lui penchait pour rejoindre Marc: l’homme est un prédateur, originellement, donc fondamentalement. Reste à remplacer la compétition par la responsabilité (même par rapport aux autres espèces). C’est l’intérêt des plus riches mêmes: l’Africain que l’on dirait démuni dans sa brousse se paie le luxe de parler avec "les vieux", par exemple, tandis que les grands patrons stressés se retrouvent dans une véritable misère intellectuelle, n’ayant jamais que le temps de penser à l’avenir de leurs entreprises: les riches sont pauvres d’esprit -et pas libres pour autant, enchaînés qu’ils sont dans leurs préoccupations de riches, et devant toujours davantage se méfier des pauvres qui les menacent.
Jacquard raconte alors qu’à Sao Polo des gosses de riches venus l’écouter étaient accompagnés de gardes du corps qui devraient les ramener chez eux au plus tôt: ceux-là vivent déjà en prison.
Gunter s’exclame: "Est-ce ainsi que les hommes vivent!?" Grand moment !

Je l’avoue entre nous, mon sang un peu trop froid ne s’est pas trop ému quand il s’agissait pourtant de l’avenir de l’humanité. J’ai beau aimer les
hommes, je ne les aime pas tous ensemble: je ne parviens pas à me faire une idée de leur totalité comme d’une chose aimable, comme la chose la plus précieuse qui soit, à toujours revaloriser, construire, préserver. Jacquard a défini l’humain comme un "être de relation". Pour le faire comprendre, il a évoqué sa colère (transmise en direct à la TV) quand il a su que des C.R.S. bastonnaient des sans-logis dans une église: à Casablanca, on l’arrête dans la rue pour le remercier d’avoir manifesté son indignation.
"Cette personne qui m’a interpellé dans la rue, c’était un être humain".
C’est donc dans la reconnaissance, dans la réciprocité, qu’Albert reconnaît l’humain. Cela m’oblige à considérer qu’il y a des hommes à exclure de l’humanité (certains C.R.S. par exemple, ou les milliers de personnes qui, à Casablanca, n’ont pas arrêté Albert dans la rue), et que certaines des bêtes en font partie.
Il y a aux States une école où la cour de récré est une piscine. Les gosses (de riches) s’ébattent avec des dauphins à la récré. Ces dauphins, "en stage" avec les gamins, sont périodiquement libérés, et l’on en retrouve quelques-uns le long des côtes, retrouvant parfois certains des gamins qu’ils avaient connu en piscine. Ils les reconnaissent immédiatement: ils savent les distinguer parmi les centaines d’autres personnes qui s’ébattent sur la plage -un peu comme à Casablanca on a su identifier Albert parmi des milliers de gens. Les retrouvailles sont joyeuses: deux consciences qui s’estiment se font fête. Si l’homme est un être-en-relation (enfin... certains hommes, qui sont humains), alors le dauphin aussi (enfin... certains dauphins), et beaucoup d’autres animaux, qui se reconnaissent, qui sont solidaires, même quand ils ne sont pas de la même espèce.
Jacquard a été l’homme qui a le plus superbement montré qu’il ne pouvait pas y avoir de race séparant les hommes: pourrions nous à présent aller plus loin, considérer qu’il n’y a pas non plus d’espèce séparant les consciences, toutes participant à "l’humanité" -à laquelle il conviendrait de trouver un meilleur nom?

CITATIONS

"Les hommes éveillés n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde."
HERACLITE

(1) "Si, comme on le dit, les hommes deviennent des dieux par excès de vertu, c’est ce caractère que revêtira évidemment la disposition opposée à la
bestialité. (...) Il est rare d’être un homme divin (...) la bestialité est
rare dans l’espèce humaine: c’est principalement chez les barbares qu’on la rencontre."
Aristote Éthique à Nicomaque VII,1

"Une folie dont nous avons d’abord à nous garantir, c’est d’oublier que nous ne sommes que des hommes."
Diderot, l’Encyclopédie, "Épicurisme"

"Égalité avait signifié, dans un contexte religieux, que nous sommes tous les enfants de Dieu, que nous participons tous à la même substance
humano-divine (...) . [s’inspirant de la formule de Kant: tous les hommes sont égaux dans la mesure où ils sont des fins, et seulement des fins, jamais des moyens l’un pour l’autre:] S’inspirant des idées de la philosophie des Lumières, des penseurs socialistes de différentes écoles définirent l’égalité comme l’abolition de l’exploitation, de l’utilisation de l’homme par l’homme, qu’elle soit cruelle ou "humaine". "Erich Fromm, L’Art d’aimer

"On devient nécessairement l’ennemi des hommes lorsqu’on ne peut être heureux que par leur infortune."
Helvétius, De l’esprit III, XVI

"L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre. Le problème ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà."
Karl Marx
[mais quand Marx disait cela , la population de la terre ne comptait qu’un milliard d’hommes...]

"Etre bon patriote, c’est souhaiter que sa ville s’enrichisse par le commerce et soit puissante par les armes. Il est clair qu’un pays ne peut
gagner sans qu’un autre perde, et qu’il ne peut vaincre sans faire des malheureux.
Telle est donc la société humaine, que souhaiter la grandeur de son pays c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande ni plus petite, ni plus riche ni plus pauvre serait le citoyen du monde."
Voltaire, Dictionnaire philosophique, "Patrie".

"Toutes choses humaines sont trop changeantes pour pouvoir être soumises à des principes de justice permanents. C’est la nécessité plutot que l’intention morale qui détermine dans chaque cas quelle est la conduite sensée à tenir. C’est pourquoi la société civile ne peut pas même aspirer à être juste purement et simplement."
Léo Strauss, Droit naturel et histoire

Date de création : 12 mars 1998. Date de révision : 31 août 1998
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Ce serait quand même sympa de nous prévenir !
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